Corona-Leaks: il est parfois bon de savoir la fermer
Depuis plus de deux semaines, le scandale ne faiblit pas. En particulier en Suisse alémanique. Alain Berset, actuel président de la Confédération et chef d’orchestre de la stratégie Covid est (encore) «dans la tourmente». Cette fois, il s’agirait de fuites entre son cabinet et Mark Walder, le CEO d’un des deux principaux éditeurs de médias du pays. Pourtant, L’Impertinent – souvent accusé d’acharnement contre le pauvre bougre –n’en a pas parlé. Voici pourquoi.
Aux âmes sensibles chafouinnées par la vulgarité du titre (et du reste) de cette chronique: le temps n’est plus aux atermoiements et l’auto-censure ne sied pas à l’exercice de la chronique.
Il est parfois bon de savoir fermer sa gueule. Personne ne dira le contraire et surtout pas Alain Berset, devenu expert en la matière. Dernière démonstration en date mercredi dernier, dans Infrarouge. Face aux tentatives d’un Alexis Favre redevenu journaliste pour l’occasion, notre président a invoqué le cinquième amendement.
Mais avant d’aborder le fond, petite précision: savoir si l’on s’empare ou non d’un sujet est une interrogation récurrente dans la vie d’un journaliste. Les choix rédactionnels sont à la source de l’identité d’un média. Lorsque ledit média est participatif, il convient d’expliquer et de justifier les choix de sujet, afin de pouvoir éventuellement en débattre. Tout du moins susciter l’interrogation. A ceux qui s’étonnent donc du silence de L’Impertinent sur cette affaire, il s’explique par plusieurs raisons:
1. Tout le monde en parle
Même si vous ne briquez pas un traitre mot d’allemand, vous avez dû voir passer des articles, des éditos, des émissions de télé et de radio sur l’affaire des Corona-Leaks. On ne voyait donc pas l’intérêt d’en rajouter une couche, puisque L’Impertinent traite en priorité de l’information manquante.
Petit florilège des papiers francophones les plus intéressants:
Annick Chevillot, de Heidi.news, nous dresse le portrait de Marc Walder. On apprend d’ailleurs ce dimanche que celui-ci ne serait plus patron du Blick OU s’en sortirait avec une confiance renforcée, en fonction de l’auteur de l’article…
Claude Ansermoz, rédac’ chef du 24heures nous explique que les fuites ont toujours existé et que c’est l’jeu ma pôv Lucette. Il suggère néanmoins que les journalistes devraient mieux expliquer comment ils travaillent (tout en refusant les demandes d’interview de L’Impertinent)
Michel Guillaume, correspondant à Berne pour Le Temps, regrette les relations «trop souvent incestueuses» entre médias et pouvoir
Le Blick nous explique que les porte-parole du gouvernement ont toujours été incapables, eux, de savoir quand il est bon de la fermer
2. On ne tire pas sur une ambulance (surtout lorsqu’on n’a pas de munition)
La presse alémanique est à feu et à sang. Alain Berset est de moins en moins crédible (mais le peuple aime ça) et une enquête parlementaire a été ouverte par le président de la commission des Etats qui, en plus, en profite pour se foutre allègrement de la gueule du président en déclarant à la presse: «En règle générale, aucun délai n’est fixé». L’objectif est toutefois de proposer une solution «aussi vite que possible, mais en enquêtant aussi longtemps que nécessaire».
Inutile donc d’en faire des caisses, comme c’est par exemple le cas en ce moment de la part des dépositaires de plaintes pénales qui ne sont pas encore instruites.
3. Le journalisme n’est pas du militantisme
Comme Annick Chevillot et d’autres l’ont compris: la véritable victime dans cette affaire, c’est le journalisme. La crédibilité des médias.
«Les CoronaLeaks éclaboussent toute la presse parce que la crédibilité des médias est en jeu, explique la journaliste. Cela touche tous les médias parce qu'un doute plane sur l'ensemble des médias ayant traité de la crise Covid. Ont-ils tous eu droit aux même fuites orchestrées? Seulement certains? Mais alors selon quels critères? S'il est évident que certains médias ont eu canal direct avec le DFI, d'autres pas. Bref, cela fait planer un doute, rend les lecteurs soupçonneux et oblige certains médias à se justifier, comme l'a fait le Tages Anzeiger en disant ce qui les différenciait du Blick...»
«A qui sert une fuite? A celui qui fait fuiter une info confidentielle, à celui qui diffuse la fuite ou à celui qui est l'objet de la fuite? Ce qui m'intéresse lorsqu'une fuite est publiée dans un média, c'est d'observer les réactions. En politique, le plus souvent, les fuites profitent à tout le monde. Cela sert aussi au politique à créer une connivence avec le journaliste, qui peut se sentir flatté par ce genre de largesses. Influencer un journaliste en faisant levier sur son ego est, à mon avis, plus efficace qu'avec de l'argent ou la promesse d'avantages personnels.»
Contrairement à ce qu’affirment certaines critiques mal intentionnées, L’Impertinent n’est pas un média militant.
4. Des hypothèses qui ne sont que cela
Il y a donc eu des fuites entre l’équipe d’Alain Berset et le CEO de Ringier. Immédiatement, on a suspecté le Blick d’avoir profité de ces fuites. Annick Chevillot a même relevé toutes les occurrences où le journal de boulevard a annoncé des mesures à l’avance.
Sauf que le Blick n’est pas le seul média possédé par Ringier. D’ailleurs, s’il s’est montré complaisant et obséquieux envers le pouvoir pendant la crise Covid, qu’il a largement contribué à alimenter, le Blick n’est pas resté silencieux sur les 314 premiers «scandales», «frasques» et «tourmentes» d’Alain Berset. Et si les contreparties des fuites n’avaient pas été assurées par le Blick, mais par un autre titre de Ringier?
Nul doute qu’on ne connaîtra jamais véritablement le fin mot de l’histoire, mais la politique suisse a rarement été aussi divertissante et le journalisme rarement autant dans la merde.